Kalehe, du viol a l’arrangement à l’amiable
19-12-2015 12:53:09
Le territoire de Kalehe est l'un des territoires du Sud Kivu dans lequel, à part l'armée régulière qui est présente sur une portion importante du territoire, il existe des zones qui sont contrôlées par des groupes armés locaux. Ceux appelés Mai-mai Raia Mutomboki (RM) y sont le plus actifs. Les localités que ces groupes contrôlent, sont souvent autour des zones minières, aux environs du Parc National de Kahuzi Biega. Des groupements entiers sont contrôlés par ces derniers. Il s'agit entre autre des groupements de CAMINUNU, CIBINDA, MULE, COLOBERA, MUTALE, MUSHIMBI, NYATESA, RAMBO, CIFUNZI, CIGOMA, NYAMARO, une information fournie par les auditeurs de Femme au Fone de Kalehe.
Dans ces zones sous contrôle, où, aucune représentation de l'autorité étatique n'apparait, il n'est pas étonnant de ne pas compter sur une quelconque organisation judiciaire. S'ils sont portés à leurs connaissances, les différends, les conflits sociaux, les infractions sont traitées de façon arbitraire sous le bon vouloir des responsables des groupes qui occupent le milieu. Des cas de viol couramment observés ne sont traités qu'à l'issu des arrangements à l'amiable entre les familles des victimes et les présumés violeurs.
Des arrangements entre les familles
«Dans un village de Cifunzi sous village de Cirhulo, une fille de 15 ans a été mise enceinte et a mis au monde un enfant ». SMS reçu du territoire de Kalehe dans le système Femme au Fone.
Il s'agit des pourparlers qui s'entament entre les familles des victimes et celles des auteurs des forfaits pour aboutir à une entente qui oblige ces derniers à payer aux familles des victimes une somme quelconque en guise de réparation pour le « mal causé à la famille ». Ce payement est considéré comme « une dot » pour prendre la fille en mariage dans certains cas, ou alors si grossesse s'en est suivi, une autorisation pour récupérer l'enfant plus tard après accouchement. Ces discussions se déroulent en conseil de famille à l'absence de la victime qui ne pourra qu'exécuter les décisions ressorties.
La crainte du coût de la procédure judiciaire n'est pas le seul élément qui pousse certaines familles des victimes de violences sexuelles spécifiquement le viol à passer à l'arrangement à l'amiable dans le territoire de Kalehe.
L'éloignement des tribunaux n'est pas en reste. Le problème lié à la distance amène beaucoup de justiciables à renoncer à l'exercice d'une action en justice.
En temps normal, à part le tribunal de paix se situant au niveau du territoire, Kalehe dépend juridiquement du tribunal de grande instance de Kavumu siège secondaire du tribunal de grande instance d'Uvira. Le Tribunal de Grande Instance d'Uvira a deux tribunaux secondaires à savoir celui de Kavumu dans le Territoire de Kabare pour les Territoires de Kabare, kalehe, Walungu et Idjwi ; et celui de Kamituga en Territoire de Mwenga pour les Territoires de Mwenga et de Shabunda.
Ces deux Tribunaux secondaires fonctionnent avec deux Parquets secondaires à Kavumu et à Kamituga. Selon le ministère de la justice congolais, ils ont été créés pour réduire la distance avec les justiciables. Mais de quelle distance il s'agit lorsqu'on sait que, il est question d'effectuer des longues distances pour accéder à ces tribunaux ? A titre illustratif, entre Minova et Kavumu, il faut effectuer 119 kilomètres, à travers des routes qui sont dans un état désastreux, des fois impraticables.
Pour tout différend qui doit être porté devant les tribunaux, il faut faire tout un voyage. Il ne s'agit pas d'une opération d'un aller et retour. Lorsqu'il s'agit de l'appel, il faut se rendre à Bukavu. «La justice n'est pas faite pour les pauvres» dit un auditeur de FAF.
Dans certains autres cas, l'arrangement à l'amiable qu'effectuent les familles est justifiée par le fait que cela permettrait de sauver socialement « l'honneur » de la famille. La victime serait protégée des jugements sociaux. Lorsque la famille de la victime oblige le violeur à la prendre en mariage, elle est en train de considérer le viol seulement comme une barrière, elle considère le viol comme une barrière de la richesse grâce à la dot espérée et qu'une fille violée devient une « marchandise » déclassée.
Dans d'autres circonstances, face à un différend, il n'est pas rare d'écouter les victimes se rassurer en disant « il vaut mieux un mauvais arrangement qu'un long procès».
En voulant savoir plus pour une vérification de cet incident, des personnes interrogées de ce village, ont affirmé que l'auteur de cette violence est un homme marié avec 7 enfants et qu'il habite le village voisin. La fille a accouché à la maison, puis ramené plus tard à la maternité d'un centre de santé de la place suite à une complication observée.
La loi réprimant les violences sexuelles
La loi de 2006 qui réprime les violences sexuelles en RD Congo, est claire pour ce qui est de l'arrangement à l'amiable en cas de viol. Il est strictement interdit aux parties transiger. Dans son article 9 Bis il est dit : l'amende transactionnelle prévue à l'article 9 ne s'applique pas aux infractions de violences sexuelles. Quiconque sera reconnu coupable de viol sera puni d'une peine de servitude pénale de cinq a vingt ans et d'une amende ne pouvant être inferieure a cent mille francs Congolais constants.
De ces deux SMS précèdent, il s'agit de l'absence de l'autorité judiciaire qui pousse et motive les victimes et leurs familles à faire l'arrangement à l'amiable. Des familles ne savent pas comment répondre à leurs devoirs devant un vide de l'administration judiciaire. Les groupes armés qui contrôlent ces zones, ont d'autre priorité souvent d'ordre économique.
Dans les deux cas, les arrangements entre les parties ont eu lieu. Dans le premier cas, l'auteur du viol s'est convenu avec la famille de la fille en donnant « une vache d'une valeur de 300 $ plus deux chèvres» pour être déchargé des faits.
Selon toujours cette source, il n'est pas rare de croiser ces genres d'arrangements entre les familles et les auteurs. Pour ces familles «au lieu de tout perdre et d'entretenir la fille sans ressources vaut mieux recevoir soit cette vache et/ou chèvre».
La pratique qui prévoit de mettre fin aux poursuites d'un auteur de viol aussitôt qu'il ait versé quelques biens à la famille de la victime, soustrait un nombre considérable d'auteurs de violence sexuelle à la juste sanction. Et ceci bien que la loi prévoit la poursuite de ces auteurs même en l'absence de toute constitution de partie civile et que la coutume a une force inférieure à celle de la loi.
Si le viol est commis par l'un des éléments des groupes armés, si ce n'est pas masqué par un semblant de sanction en termes de punition par des coups de fouets, bien sûr lorsqu'il s'agit d'un subalterne, exécutant, il lui est demandé dans certains cas, s'il s'avère qu'une grossesse s'en est suivie de prendre la fille comme épouse peu importe l'âge en remettant quelque chose à sa famille, ou encore de supporter sa maternité. Le tout étant le résultat des arrangements. Pour les familles des victimes de viols, lorsque l'on peut aboutir à un arrangement c'est encore mieux dans ces genres d'environnement où la seule loi qui prime c'est celle de celui possédant une arme.
Ces genres de situations se vivent au quotidien dans nombreux villages du territoire de Kalehe sous contrôle des groupes Raia Mutomboki.
«Une fille âgée de 13 ans a été engrossé à Chofi, disons que ça fait presque 2 mois que cette fille est malade sans que ses parents ne le sache ni moins la raison, le lundi 5 Janvier à 9h elle a été emmené à l'hôpital, le médecin leur a dit que la fille était enceinte, les parents en la posant la question elle a affirmé que la grossesse était plutôt pour son enseignant de l'EP SINAI/CHOFI les parents de la filles ont exigés auprès de l'enseignant une somme de 1800$ et que la fille reste chez elle».
S'ils ont la chance, à l'issue des négociations, la famille de la victime «gagne» 100$, une chèvre, la plus «honorée» une vache pas plus en guise de réparation du crime commis. Les criminels et leurs familles qui acceptent de les soutenir, n'ont pas la possibilité de faire plus, étant donné leur état de pauvreté face à des groupes armés qui sont souvent animés par des intérêts économiques d'exploitation des ressources. Si l'auteur du viol accepte le «deal», c'est tout simplement pour couper court à tout autre tentative de demande de compte de la part de la victime ; c'est ce qu'on appelle « taisez-vous ».
Cela a comme conséquence la culpabilisation de la personne qui vivra avec le sentiment d'injustice et la peine de se retrouver face à son violeur, peut être comme voisin ou membre de la famille. Encore faut-il croire à la discrétion dans une société où toutes les rumeurs sont possibles. Ces femmes se retrouvent abandonnées à leur sort, parfois avec des traumatismes psychiques et physiques graves, sans soins.
Malgré toutes les sensibilisations qu'ont suivies la vulgarisation de la loi réprimant les violences sexuelles, des cas de viols qui sont rapportés soulèvent autant des questionnements sur les comportements sexuels des adultes face à des enfants mineurs et pourtant protégé par la loi nationale et différents texte internationaux.
L'impunité
«Si je vais jusque là-bas pour me plaindre avec ma fille, c'est peine perdue ils ne pourront pas mettre la main sur l'auteur du viol, et aussi quand je rentrerais je serais mal vue dans mon village».
L'absence des autorités étatiques dans certains groupements du territoire de Kalehe, ouvre la brèche à une forte manifestation de l'impunité lors de la commission des actes de violence sexuelle. Cette absence devient comme une protection à poursuivre des présumés auteurs de ces cas. Les affaires de viols ne sont pas portées à la connaissance des autorités judiciaires. Pour ceux-là qui peuvent oser se déplacer et aller vers les coins où ils sont présents, il devient même compliqués par ce que pour les enquêtes les officiers de police judiciaires ne sont pas le bienvenue pour se déplacer jusque dans les zones sous contrôles des groupes armés.
Quoi de plus inquiétant que de voir une communauté inconsciente des méfaits que peuvent produire des situations d'arrangement en cas de viol sur la jeune fille ? Á quel point ces arrangements qui aboutissent pour la plus part des cas aux mariages précoces, et souvent forcé, constituent des dangers d'insécurité pour cette «femme» ?
En droit congolais, une personne poursuivie du chef d'une infraction peut payer au trésor public une amende et le cas échéant, d'indemniser la victime de cette infraction. La conséquence en est que l'affaire peut être classée, sauf si le procureur général informé s'y oppose ou que la victime choisit de saisir directement le juge.
Le classement par paiement d'amende transactionnelle n'est possible qu'au cas où l'infraction en cause est punie d'une peine de prison et/ou d'une amende. Par contre, il ne peut y avoir de classement par paiement d'amende transactionnelle lorsque l'infraction en cause est punie nécessairement d'une peine de prison. Tel est le cas pour les infractions de violences sexuelles.