Bita : « Je suis aveugle mais je vois »
10-07-2015 09:46:38
Bita : « Je suis aveugle mais je vois »
Bita Byangoy, la trentaine révolue, est née à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud Kivu. Elle devint d'abord infirme à 5 ans, puis aveugle à 16 ans alors élève en troisième année secondaire à Heri Kwetu, une école conventionnée catholique tenue par des missionnaires à Chahi, une des localités de la commune d'Ibanda dans la ville de Bukavu. Elle eût tout au début de son handicap, du mal à l'accepter mais elle ne tarda pas à prendre les choses du bon côté, grâce au soutien des pères missionnaires et celui d'autres personnes de bonne volonté de son entourage.
A l'école Heri Kwetu, où elle fut élève pendant qu'elle voyait encore bien, Bita continua d'apprendre à lire et à écrire au moyen de l'écriture Braille. Elle suivit également une formation en
artisanat et devint elle-même formatrice. Cette formation devint très vite bénéfique pour Bita : «J'ai commencé à tisser des paniers et même à former d'autres à en fabriquer.
Je leur ai également appris l'écriture Braille et j'ai commencé ainsi à gagner de l'argent. C'est là que je me suis rendue compte qu'une personne aveugle pouvait aussi se payer son déplacement, son téléphone, sa nourriture... et de cette manière éviter la mendicité à la quelle recourent plusieurs
personnes, dont certains aveugles. » Ancrée dans sa nouvelle sphère, Bita nourrit une passion, celle de partager son expérience avec d'autres malvoyants et même avec des voyants. Cette expérience fit naître en elle, un rêve qui, depuis lors, motive toutes ses actions.
La mendicité ne devrait pas être le lot des filles et femmes aveugles
« En 1997, le 10 avril exactement, encouragée par d'autres femmes leaders, Bita a créé l'Association des Femmes Aveugles du Sud Kivu, AFASK, la seule structure regroupant, jusque
là, des filles et des femmes aveugles dans la province. « J'ai créé cette association pour lutter contre la mendicité des femmes aveugles, prévenir l'avenir des filles aveugles mais aussi sensibiliser les gens à regarder autrement les aveugles et pour les parents dont les enfants sont aveugles, les sensibiliser à les accepter comme des personnes à part entière».
Aveugle mais je vois
« Je suis aveugle mais je vois, c'est mon refrain de chaque jour devant différentes personnes que je côtoie et je voudrais même que cela devienne une devise pour toutes les aveugles. » Bita ne se limite pas à travailler juste avec les malvoyants. Elle a dans son équipe des personnes qui voient et mène du lobbying pour en attirer d'autres à la cause des aveugles en général et celle des femmes en particulier à travers une émission de promotion des droits des aveugles et de la vulgarisation de leurs œuvres dont elle est productrice et co-présentatrice sur différentes chaînes de radio à Bukavu.
Sous l'encadrement de Bita, aveugles et voyantes taillent artistiquement des stylos, tricotent,
brodent, cousent, chantent et font de l'art culinaire. Dans ce cadre, Bitha participe à la promotion de la dignité des femmes. Dans un atelier dont elle est l'initiatrice et grâce au concours de
certaines femmes leaders du Sud-Kivu, Bita restitue aux filles et femmes aveugles ce qu'elle a reçu -l'écriture Braille-, les forment aux différents métiers et leur fait part de son expérience au quotidien : « Je tiens la gestion de notre atelier, je subviens aux besoins de ma famille et viens au
secours de certaines personnes nécessiteuses. Cela me rend fière et je me sens utile. Je participe au développement de ma société et plus rien ne m'arrête. Les aveugles que j'encadre ne peuvent, certes pas voir les images mais, elles voient au-delà parce qu'elles apprennent à se prendre en charge, elles valent plus que des personnes qui voient mais qui ne peuvent rien entreprendre. »
Bita ne se limite pas à son seul atelier.
Elle met ses connaissances à la portée de la société. « J'ai été sollicité par Women for Women pour former une formatrice en tissage des paniers. » Chaque jour, elle essaye d'éviter de tomber dans le piège de la dépendance. « Je prends, toute seule, soins de mon enfant, je trie le riz, le haricot, je prépare mon repas, je fais mon lit, je raccommode mes vêtements... je vis naturellement grâce aux acquis de la mobilité qui est un des composantes du cursus de formation des personnes aveugles ». Elle passe son temps à l'apprendre aux filles et aux femmes aveugles et voyantes pour prévenir la mendicité.
Bita est aveugle mais elle garde tout le reste de ses facultés : « Je vois, parce que je réfléchis sur mon avenir et sur celui de mes semblables. Comme mère, je réfléchis surtout sur l'avenir des filles
aveugles. Ma lutte, c'est qu'elles comprennent qu'être aveugle ne les réduit au néant et qu'elles peuvent vivre épanouies dans cet état. »
Elle a aussi des ambitions
« Je pense et je rêve, comme toute autre personne. Comme femme, je pense à l'avenir des filles aveugles. J'ai constaté que l'ignorance de l'écriture Braille par les voyants constitue un grand frein au développement des aveugles mais également au respect de leurs droits. » En cette période pré- électorale, Bita pense que pour que les droits des aveugles ne soient pas violés, il faudrait que la Commission Electorale Nationale Indépendante, CENI, pense impliquer les aveugles dans l'organisation des élections. La présence des personnes qui sont familières à l'écriture Braille pourrait faciliter la participation des aveugles au vote et garantir leur liberté de choix, estime Bita.
« Lors des précédentes élections, nous les aveugles étions obligés de dévoiler le nom de notre candidat à quelqu'un qui devrait nous aider à l'écrire sur un bulletin de vote. Rien ne prouve que ce soit le nom de mon choix qui était repris sur mon bulletin de vote. ». Bita rêve de voir
l'écriture Braille intégrer dans les programmes scolaires de la RDC pour sa vulgarisation. Elle rêve voir les personnes qui voient se l'approprier pour faciliter la communication avec les malvoyants. Elle pense que de cette manière les filles seraient à l'abri du chômage et de la marginalisation.
« Avec tout ce que j'ai appris, je gagne simplement mais dignement ma vie et je subviens dans les limites de mes moyens, aux besoins de ma famille. Je peux me payer le taxi pour mes différents déplacements, les crédits de communication pour passer des appels et prendre des contacts nécessaires dans le cadre de mon travail. »
Si aveugle de son état, Bita arrive à valoriser l'image de la femme, à combien plus forte raison les femmes qui voient. Son expérience interpelle la conscience de nous toutes.
Judith CUMA