Sud-Kivu : les femmes de troisième âge demandent un peu plus de dignité

01-10-2014 10:48:14

En République Démocratique du Congo, les personnes de troisième âges, culturellement considérées comme garants de la tradition et dépositaires du savoir résultant de l'expérience de la vie, sont délaissées et victimes de plusieurs abus liés à leur état, aussi bien dans leurs propres familles que dans leurs communautés.

A Bukavu, chef-lieu de la province du Sud Kivu, cette réalité oblige certaines femmes dépourvues de toute assistance, à se livrer plutôt à la mendicité tous les vendredis[1]. Ces femmes, pour la plupart des déplacées fuyant l'insécurité dans leurs villages, ont ras-le-bol du traitement que leur réservent la communauté. Elles demandent d'être vues autrement que des parias.

En juillet dernier, Femme-Au-Fone (FAF) a eu à échanger avec certaines femmes de la plaine de la Ruzizi, en territoire d'Uvira. Ces femmes ont fait part de leur inquiétude en ce qui concerne la situation des femmes de 3ème âge dans cette partie de la province du Sud Kivu. Elles ont à cet effet, émis le vœu de voir les conditions sécuritaires de ces femmes être améliorées.

Près de 15 messages recueillis au système SMS de FAF au mois d'Août à ce sujet, et venant d'autres territoires, ont également fait état de la recrudescence des stigmatisations et des violences dont les personnes de 3ème âge sont victimes. Quand elles ne sont pas prises pour des sorcières, elles deviennent très vite des fardeaux difficiles à supporter, y compris parfois même celles qui sont prises en charge par leurs propres enfants. Celles qui ont pu travailler et qui sont à la retraite, se trouvent plutôt payées en monnaie de signe en recevant, non pas de manière régulière, une pension de misère qui ne représente rien du tout par rapport aux services qu'elles ont rendu à la société pendant leur vie active. Celles qui se sentent encore fortes et à même d'exercer n'ont accès qu'à de durs travaux, mais malheureusement mal rémunérés.

La considération sociale et culturelle des personnes de 3ème âge en général et des vieilles
femmes en particulier, a subi une forte régression. Jadis prises pour des références culturelles et des dépositaires du savoir, elles sont aujourd'hui comptées parmi les personnes les moins utiles
dans la société, des laissées pour compte, voire des personnes nuisibles et, par conséquent, des personnes dont il faut s'éloigner, à défaut de s'en débarrasser. Cette situation les rend à la fois stigmatisées et marginalisées.

Au début du mois d'Août, FAF s'est rapprochée de quelques unes de ces femmes. Obligées de mendier tous les vendredis elles errent ça et là dans les rues de Bukavu, devant boutiques et magasins, cherchant de cette façon, à obtenir quelque chose pour survivre à la misère qui caractérise leur quotidien. Au micro de FAF, elles ont, à l'unanimité, exprimé leur répugnance face à la vie que leur impose la société. Devant cette triste réalité, ces femmes demandent aux autorités politiques et aux personnes de bonne volonté d'intervenir vigoureusement pour qu'elles soient rétablies dans leur dignité, dans leurs droits. « Nous demandons qu'on nous donne où vivre, qu'on nous construise une maison. Que l'on nous donne du travail pour que nous soyons en mesure de nous nourrir et que l'on nous facilite l'accès aux soins », ont-elles lancé. Bref, vulnérables, ces femmes assistent impuissantes à la détérioration quotidienne de leur situation sécuritaire à
tous les niveaux.

La démission de l'Etat

L'Etat devrait en principe se préoccuper du sort des personnes de 3ème âge tant qu'il est de son devoir de veiller au bien-être de tous ses citoyens, et particulièrement celui des plus vulnérables
parmi eux. En fait, le document portant sur la stratégie nationale de protection sociale produit en 2008 par le ministère national des affaires sociales reprend les personnes de troisième âge parmi les groupes vulnérables. Malheureusement, à ce jour aucun texte ne définit clairement l'engagement de l'Etat quant à la promotion et la protection des droits de cette catégorie particulière des personnes vulnérables. L'absence jusqu'à ce jour, d'une politique nationale
ou provinciale qui soit vraiment précise dans ce domaine de la protection sociale ne fait qu'aggraver la situation.

A Bukavu, il n'existe aucun hospice pour accueillir ces personnes.
Seuls quelques acteurs privés, notamment les églises et quelques organisations de la Société civile regroupées au sein de Wazee Wetu (WAWE), essaient tant bien que mal d'encadrer et d'assister ces personnes en difficulté. L'action de cette organisation en faveur des personnes de troisième âge prend plusieurs formes : réhabilitation de certaines de leurs maisons en état de délabrement avancé, sensibilisation (et mobilisation des fonds) en vue de leur adhésion aux mutuelles de santé, réconfort moral et diverses formes de compassion.

Le rapport de WAWE de 2013 dernier, révèle que sur un total de 24.142 vieillards recensés par ses
différentes associations membres sur toute l'étendue de la province, 13.142 sont des femmes. Le nombre de celles qui ne sont pas enregistrées ne serait pas non plus négligeable. Il y a donc plus
que jamais urgence pour venir à la rescousse de ces vieilles personnes dont les droits sociaux sont
constamment violés.

La proposition d'un édit provincial, un espoir en perspective

Au vu de cette réalité, une journée de réflexion sur le mécanisme de la protection sociale des personnes de troisième âge a été initiée par WAWE sous la coordination de la société civile du
Sud-Kivu en mai 2014 dernier. Le principal résultat de cette journée a été la proposition d'un édit portant promotion et protection de personnes de 3èmeâge.

Au niveau de l'Assemblée provinciale, l'honorable Jules Balumisa, conscient de la gravité de la
situation sécuritaire précaire de ces personnes, a également rédigé et proposé un édit dans ce sens, celui-ci marquant sa différence au niveau des quelques articles. De ces deux propositions d'édit et après concertation entre l'Assemblée provinciale, le ministère provincial des affaire sociales et les associations membres de la Plate forme WAWE, un document final a été adopté. Il constitue à ce jour «la proposition d'édit portant mesures d'assistance et d'encadrement des personnes de troisième âge en province du Sud-Kivu» qui n'attend que l'ouverture de la session
parlementaire prévu en fin septembre courant, pour être présenté.

Tous les regards de ces personnes sont désormais fixés sur cet édit qui, s'il est promulgué et mis en
application, ouvrira la voie du salut à ces vielles personnes. En attendant, l'espoir est permis pour ces personnes de 3ème âge. S'il est voté, cet édit provincial sera le tout premier document officiel portant la promotion et la protection des droits de personnes âgées en République Démocratique du Congo.

Inquiétude

Notre pays continue d'être ruiné par la corruption à tous les niveaux. Que l'on pense allouer
des fonds aux personnes de troisième âge, c'est déjà bien. Mais, pour que ceux-ci profitent réellement à ces personnes vulnérables, un effort de bonne gouvernance est plus que nécessaire. Il ne serait pas mal venue que leur gestion soit confiée à une organisation neutre, soucieuse de la promotion de ces personnes aujourd'hui affaiblies.

Plusieurs édits provinciaux ont été promulgués sans que leur mise en application ne dépasse le cap de l'utopie. Peut-on espérer qu'une fois promulgué, cet édit portant mesures d'assistance et d'encadrement de personnes de troisième âge, sera mis en application dans un temps raisonnable
et pour l'intérêt de ceux pour qui il aura été initié ?

L'avenir nous le dira.

Judith CUMA

[1]
WWW.kamuntu.wordpress.com,
« Bukavu : vendredi devient une journée officielle de
mendicité »