« Seules les réalisations des femmes peuvent témoigner de leurs capacités et compétences »

Interview avec la chef de chefferie Naweza Félicité Kabonwa

21-12-2015 09:33:31

« Seules les réalisations des femmes peuvent témoigner de leurs capacités et compétences »

Interview avec la chef de chefferie Naweza Félicité Kabonwa

Félicité Naweza est native de Kaziba. A 20 ans elle est désignée pour assumer la chefferie après la mort de son père, Mwami Kabonwa, étant donné que son frère, héritier naturel, était encore mineur. Jeune et fille, elle est d'abord hésitante mais grâce aux encouragements de sa mère, elle choisit de saisir l'opportunité. Elle passe ainsi à la tête de la chefferie de Kaziba, un poste réservé aux hommes et qu'elle exercera avec succès pendant 8 années. Une fois son frère devenu majeur, elle lui céda le poste mais après la mort de ce dernier en 2005, à la demande de la population de Kaziba, elle revint encore comme chef de la chefferie en attendant que son neveu Mwami Dirk Majiri IV Cimanye Kabonwa atteigne la majorité.

Depuis 2011, Félicité tient à nouveau le règne de la chefferie, une subdivision administrative reconnue par l'Etat comme une entité décentralisée dirigée par un mwami qui est une autorité coutumière, de Kaziba située dans le territoire de Walungu à environ 60 Km au Sud-est de la ville de Bukavu chef-lieu du Sud-Kivu.

Bien qu'à l'intérim, je trouve que c'est déjà un succès pour la femme parce que la chefferie étant encore dirigée de manière coutumière il n'est pas facile aux femmes d'accéder à sa tête. Assurer cet intérim est une opportunité pour moi pour valoriser l'image de la femme à travers mon travail. C'est pour moi une occasion propice pour amener les hommes à reconnaître les mérites des femmes et, à partir de ces mérites, qu'ils arrivent à faire confiance aux femmes comme des actrices à part entière du développement intégral de notre pays.

En prenant la tête de la chefferie, elle s'est fixée pour premier objectif de promouvoir la participation de la femme dans la gestion de la chefferie de Kaziba à travers ses différents services. Dans cette chefferie où la femme était laissée de côté, Félicité Naweza est venue donc bousculer la tendance pour donner à sa chefferie une autre image, une opportunité pour elle d'insérer sa chefferie dans la logique de la 1325 qui se veut être une opportunité de bâtir une paix durable, inclusive et respectueuse des femmes pour reprendre les termes de Françoise Nduwimana, Chargée des cours à l'UQO et consultante en développement international.

Elle est ainsi arriver par sa détermination à accroitre l'accès des femmes aux structures de pouvoir local. A mon arrivée au pouvoir, j'ai trouvé qu'aucune femme ne participait à la prise de décision au niveau de la chefferie. J'en ai donc fait mon premier objectif et j'y suis arrivée. Aujourd'hui, c'est une femme qui dirige le bureau de l'état civil qui est un grand bureau, il y a une femme qui dirige le service de l'agriculture et une autre à la tête du service vétérinaire. A Kaziba, il y a aujourd'hui des femmes compétentes, des médecins, des enseignantes qui donnent les meilleures d'elles mêmes à la chefferie. Il n'était pas question de laisser les femmes de côté, c'est ainsi que j'ai convaincu mes collaborateurs pour que les femmes occupent des postes de responsabilités au sein de la chefferie. Il était temps que les femmes soient impliquées dans la participation à la gestion de la chefferie.

Malgré ce succès dans la promotion de la participation de la femme, Félicité reconnaît qu'il y a encore des postes fermés aux femmes au niveau de la chefferie notamment celui de chef de groupement, poste occupé par des chefs coutumiers. A Kaziba sur les 15 groupements, un seul est dirigé par une femme. La chefferie est une entité dirigée de manière coutumière. La coutume n'est pas encore prête à promouvoir la femme ; la coutume a encore beaucoup des restrictions pour les femmes ; avec ça il n'est pas facile de faire passer certaines idées. Nous continuons cependant à lutter pour une participation de la femme à tous les niveaux. Moi-même si je suis chef de chefferie, je le suis à l'intérim en attendant que le chef revienne des études. Donc, il y a jusque là un grand travail à faire pour arriver à un changement dans le système d'héritage qui reste encore un système coutumier. Il n'est donc pas facile aujourd'hui de faire hériter les femmes à ce poste qui passe du père au fils.

Naweza Félicité a donc du pain sur la planche pour amener les hommes à changer de mentalité. Un travail de longue haleine qui demande plus de patience et de détermination doit être réalisé. Les chefferies bien qu'étant des subdivisions administratives reconnues par l'Etat comme des entités décentralisées, elles sont encore dirigées de manière coutumière avec toutes les barrières qu'elle oppose à la femme.

Avec certains conservateurs de la coutume, il lui faut user de plus de diplomatie pour faire passer ses idées. Dans mon travail quotidien, je travaille avec les chefs des groupements et des chefs des villages qui sont tous des chefs coutumiers. Parmi eux il y a ceux qui comprennent et s'allient à l'évolution de la société, ils comprennent que la femme a aussi une part à jouer dans le développement du pays mais il y a d'autres qui sont encore très conservateurs. Toutefois, le travail que font les femmes qui sont déjà placé dans certains postes va continuer de plaider pour les autres femmes. Mais nous continuerons de travailler ensemble tout en espérant qu'ils vont aussi comprendre petit à petit et changer.

Le droit des femmes à la prise de décision et à la participation dans la résolution des conflits est l'un des objectifs de la résolution 1325.

Un conflit des limites lié aux pâturages a opposé pendant près d'une décennie les populations de Kaziba à celles de Luhwindja, une chefferie voisine en territoire de Mwenga. Les éleveurs de part et d'autre se disputaient des espaces vertes favorables à leurs troupeaux et cela a refroidi les liens entre les chefs de ces deux chefferies. Il a fallu qu'une femme vienne au pouvoir, pour que sa sensibilité à l'importance de la paix entre les peuples puisse déclencher une démarche pour une paix durable. J'ai trouvé ce dossier sur la table lorsque j'ai repris la commande de la chefferie en 2011. J'ai usé de ma diplomatie pour convaincre mon homologue M'Baharanyi Espérance, chef de la chefferie de Luhwindja. Ensemble nous avons réunis des hommes en commission pour trouver une solution définitive à ce problème des limites qui nuisait aux bonnes relations entre les deux chefferies. Cette opération s'est clôturée par la note de gagnant-gagnant en ce sens que nous avons convergé tous au même objectif à savoir la paix au sein de nos populations.

Pour contourner les différents obstacles qui s'imposent à ses grandes responsabilités, Félicité a opté pour une stratégie. Je crois que la seule stratégie c'est de se donner du courage et l'objectif de travailler dans l'honnêteté, la justice ; montrer sa détermination et non ses faiblesses ; travailler et produire des résultats convaincants. Il faut montrer ses réalisations et je crois qu'à partir du travail que les femmes abattent au sein de la chefferie, la population a de plus en plus confiance à la femme.

Autonomisation de la femme

En dehors d'être chef de la chefferie à l'intérim, Félicité Naweza fait également de l'autonomisation des femmes son cheval de bataille à travers l'Association Coopérative en Synergie Féminine (ACOSYF) dont elle assure la coordination. Nous avons étudié comment autonomiser la femme de manière à la rendre capable de se prendre en charge et aussi sa famille. A travers plusieurs formations comme la transformation des produits agricoles et la promotion de l'élevage beaucoup des femmes arrivent aujourd'hui à vendre et à augmenter ainsi leur revenu.

Félicité Naweza est satisfaite du travail qu'elle abat. C'est de cette manière qu'elle contribue à la promotion des droits des femmes et à l'amélioration de l'image de la femme au sein de la communauté de Kaziba et du Sud-Kivu en général. Je crois qu'à partir du travail que j'abats, je peux me réjouir d'être un bon exemple pour prouver aux hommes qu'ils n'ont plus des raisons de ne pas faire confiance aux femmes et qu'ils peuvent travailler avec elles sans problème, compter avec elles pour un développement durable et efficient de la chefferie de Kaziba.

Judith Cuma