«Si nous connaissons nos droits, nous pouvons les revendiquer et les faire respecter»

03-09-2014 14:30:15


A Mwenga[1], les femmes sensibilisent de plus en plus sur leurs propres droits. C'est la seule arme à leur possession pour faire respecter leurs droits et ainsi améliorer
leur image et leurs conditions sécuritaires dans leur communauté.

Femme-Au-Fone(FAF) a pris langue avec quelques-unes des femmes de
Mwenga, membres du Noyau Club d'Ecoute(NCE) de l'Association des Femmes des
Médias du Sud kivu (AFEM/SK)[2]
basé à Mwenga Centre. C'était au cours d'une séance de travail de suivi des
activités d'AFEM/SK dans ce territoire, en juin 2014 dernier.

Dans les lignes qui vont
suivre, FAF vous présente la situation sécuritaire des femmes de Mwenga tel que
racontée par une des femmes leaders ayant requis l'anonymat et que nous
prénommons ici WABIWA.

- FAF : En tant que femme leader
pouvez-vous nous parler de la situation sécuritaire de la femme ici à Mwenga ?

- WABIWA : La femme vit en insécurité dans le territoire de Mwenga. Ici à Mwenga-Centre les
femmes vivent au moins en paix, mais la
situation des femmes est plus difficile dans l'arrière territoire, c'est-à-dire dans
les chefferies où les femmes souffrent plus et ne sont pas libres. Lorsque nous
voulons plaider pour la cause de ces femmes auprès des autorités locales, nous
nous butons à une difficulté, celle de la communication. Les cris de ces femmes
ne nous parviennent pas facilement ici à Mwenga-Centre.

- FAF : Vous parlez des cris des femmes, pouvez-vous nous en donner des exemples concrets ?

- WABIWA : Les femmes ont beaucoup des problèmes et premièrement les mamans de Mwenga qui pour la plupart, vivent de l'agriculture. Je vais donner un exemple pour
illustrer mes propos : Mwenga-Centre est approvisionné en produits alimentaires par des villages environnants. Mais pour que cette femme apporte des vivres jusqu'au marché de Mwenga-Centre,
elle doit faire face à plusieurs obstacles : soit qu'il n'y pas de route,
soit la route est en mauvais état. A ceci s'ajoute la peur de traverser la
brousse et parcourir de très longues distances à pied, car cela présente le
risque d'être victime des violences par d'éventuels bandits et malfrats qui se
cachent dans les brousses. En deuxième lieu, par rapport à
l'insécurité dont la femme est victime dans notre société, c'est que dans nos
familles, les coutumes Lega ou Rega[3] discriminent la femme, mais avec la sensibilisation qui est faite à ce sujet à Mwenga-Centre et à Kamituga[4],
la situation est entrain de changer petit à petit. Cette sensibilisation ne se
fait pas malheureusement dans les villages comme Ngambwa, Kitamba et Ngandu. Il
faudrait que cette sensibilisation atteigne toutes les familles de ces milieux,
pour que les hommes comprennent et sachent que la femme et les enfants ont aussi des droits dans la famille. La situation est déplorable dans ces milieux parce qu'il n'y a pas moyen de
sensibiliser dans l'arrière territoire. Mais pour nous les femmes qui vivons ici,
à Mwenga-Centre, je peux dire que quand-même sur cent pour cent (100%) d'insécurité,
nous vivons l'insécurité à soixante pourcent (60%).

- FAF : En tant que des femmes leaders de Mwenga, comment vous organisez-vous pour sensibiliser les autres femmes ?

- WABIWA : Comme femmes leaders, nous collaborons d'abord avec les autorités locales,
c'est-à-dire les chefs de localités et les chefs de groupements. Lorsque nous
organisons de grandes réunions en ce qui concerne les droits des femmes, nous les
y convions pour qu'à leur tour ils fassent la restitution dans leurs entités
respectives. Mais, il apparaît qu'il persiste toujours un problème de relais parce
que ces chefs, à leur tour, n'arrivent qu'à rassembler juste un petit nombre des
personnes. Ils ont du mal à atteindre les personnes qui vivent dans les
contrées les plus éloignés et d'accès difficile de leur groupement. C'est pour cette raison, que nous demandons que vous plaidiez à la faveur de la femme de Mwenga premièrement pour que les routes de déserte agricole soient ré-ouvertes pour nous permettre de nous déplacer
facilement et aisément. Avec des routes praticables quelqu'un peut alors prendre
une moto pour aller sensibiliser dans ces milieux éloignés et rentrer ensuite à
Mwenga-Centre. Mais lorsqu'il n'y a pas de route, c'est difficile, voire
impossible. En second lieu, nous souhaitons qu'il y ait plus des médias à Mwenga en plus d'AFEM/SK qui est déjà ici. Nous souhaitons également qu'AFEM renforce ses antennes ici à Mwenga pour que ses messages passent par plusieurs radios ; c'est important !

- FAF : Comment appréciez-vous la
participation de la femme au niveau du territoire ici à Mwenga ?

- WABIWA : En tout cas, j'apprécie dans le sens que nous les femmes leaders de Mwenga avec
la société civile nous arrivons à faire le plaidoyer auprès des autorités locales et nous arrivons parfois à de bons résultats. Avec les femmes, nous réfléchissons sur les solutions à apporter aux différents problèmes liés à la sécurité de la femme dans notre milieu. Je vois à travers cela, que les femmes commencent à prendre conscience de leurs droits.

- FAF : Et, au niveau du territoire, est-ce que la participation de la femme est visible, est-ce que le
travail de la femme produit de fruits, des changements?

- WABIWA : Oui, la participation de la femme au niveau du territoire est visible et produit
des fruits. Nous avons déjà une femme à la tête du service genre au niveau du
territoire et en tant que femme, comme peuvent en témoigner les autorités locales,
elle travaille beaucoup dans le cadre de la sensibilisation. Et puis à part
cela, nous avons la chefferie de Basile ici chez nous où il n'y avait aucune
femme dans l'administration, mais grâce aux plaidoyers que nous menons, il y a
aujourd'hui des femmes qui y travaillent et qui sont très dynamiques dans ce
qu'elles font. L'une d'elles est, par exemple, informaticienne et l'autre
caissière. Ces femmes sont là et nous travaillons ensemble.

- FAF : Dans quels domaines orientez-vous essentiellement vos sensibilisations ?

- WABIWA : Nous sensibilisons les femmes dans plusieurs domaines. Nous les sensibilisons
par exemple sur l'importance de contracter le mariage civil, de faire enregistrer
leurs enfants à l'état civil, de planifier les naissances, de dénoncer et de
décourager le mariage précoce des filles ; sur la nécessité de faire
étudier les filles, ainsi de suite.

- FAF : Dans votre travail de défenseuses des droits des femmes, quelles difficultés rencontrez-vous et qui particulièrement vous mettent en insécurité ?

- WABIWA : Nous rencontrons beaucoup de difficultés dans ce travail. En premier lieu,
comme nos sensibilisations consistent, entre autres à des plaidoyers, lorsqu'une
femme vient nous dire par exemple que son mari l'a battu, nous l'aidons à se rendre à la police pour accuser son mari.
Mais généralement, une fois appréhender par la police, le mari soudoie les
policiers et se retrouve libéré sans aucune condamnation ; et quand vous le
croisez en cours de route, il vous menace en vous dénigrant. Cela nous met en
insécurité. De deux, par exemple dans le cas du mariage précoce devenu comme un fléau ici chez
nous, lorsque nous dénonçons auprès de la police une tierce personne qui a
marié sa fille de moins de 18 ans, au lieu d'être condamnée conformément aux
textes légaux, la police, contre paiement d'une rançon, la libère. Et quand une
telle personne se retrouve libre, il profère des insultes à notre endroit et des paroles menaçantes. Tout cela rend notre travail de sensibilisation difficile. Nous demandons vraiment de l'aide dans ce sens parce que lorsque nous sensibilisons contre ces mauvaises pratiques qui ruinent notre société, c'est mieux que les autorités surtout celles de la Police Nationale Congolaise, PNC, nous prêtent
mains fortes en faisant respecter notre travail. Malheureusement, cela n'est
pas le cas. Le service de la police est devenu comme du commerce, et si nous
demandons à certains policiers pourquoi ils agissent ainsi, ils nous disent qu'il y a une somme bien précise qu'ils doivent verser chaque fin du mois à leur hiérarchie faute de quoi ils seront
sanctionnés. Les policiers se trouvent donc exposés à la corruption pour la réunir.

- FAF : A part le mariage précoce et les violences domestiques quels autres problèmes les femmes de Mwenga connaissent- elles ?

- WABIWA : Les femmes de Mwenga se plaignent également de ce que leurs maris ne leur font
pas participer à la prise de décisions dans le foyer. Ils les considèrent comme
des objets. Leurs récoltes de champ sont vendues par leurs maris à leur insu. Bref,
les femmes rencontrent vraiment beaucoup de problèmes dans leur foyer ici à
Mwenga. Il faut vraiment un grand travail de sensibilisation auprès des hommes Lega pour
qu'ils fassent participer leurs femmes à la prise de certaines décisions dans
le foyer.

- FAF : Et vous-même comme femme et épouse, quand est-ce que vous vous dites
être en sécurité ?

- WABIWA : C'est lorsque mon mari me laisse participer à la prise de décisions à tous les
niveaux dans mon foyer. Sachant que je suis une femme travailleuse, il me
laisse travailler librement. Il y a des femmes qui se plaignent comme quoi lorsqu'elles vont au travail elles font face à certaines exigences liées à leur travail mais que leurs maris, à leur tour, leur en imposent d'autres qui rendent leur exercice très difficile. Donc, c'est
question de sensibiliser les hommes pour qu'ils puissent laisser aux femmes qui
travaillent, la liberté et la facilité de le faire ; qu'ils s'organisent
ensemble avec leurs femmes dans la gestion de leur temps pour éviter
d'éventuels problèmes dans le foyer.

- FAF : Et selon vous, qui peuvent aider les femmes de Mwenga à aller de l'avant ?

- WABIWA : En ce qui concerne de l'aide, c'est d'abord nous-mêmes les femmes de Mwenga qui
devons-nous aider par la sensibilisation à nos propres droits. Parce que si nous connaissons nos
droits nous pouvons alors les revendiquer et les faire respecter. C'est seulement après avoir fait ce premier pas en sensibilisant les femmes sur leurs propres droits, que nous pouvons chercher de
l'aide ailleurs.

Interview recueillie par Judith CUMA

[1] Mwenga, un de huit territoires du Sud
Kivu. Il est situé à environ cent trente cinq kilomètres au Sud-ouest de Bukavu,
le chef-lieu de la province du Sud-Kivu. Le territoire de Mwenga est l'un de
plus riches en matières premières mais sa richesse contraste avec la pauvreté
de sa population. Ce territoire est resté plusieurs années abandonné aux
combattants hutus rwandais. (www.podcastjournal.net)

[2] AFEM/SK, l'Association des Femmes des
Médias du Sud Kivu, est l'un des
partenaires au projet Femme- Au- Fone. Afem/Sk œuvre pour la défense et la
promotion des droits des femmes à travers les médias.

[3]La réalité telle que décrite par les
femmes de Mwenga montre qu'il y a eu une régression dans la considération de la
femme chez les Lega. En effet, selon Cyrille Van Oberberghdans les coutumes
Lega, les femmes jouissent d'une
considération presque égale à celle des hommes. Elles sont admises à certaines
réunions et assemblées ; elles ont voix délibérative et obtiennent des
grades, analogues à celles des hommes, dans la hiérarchie du Bwami. En
aucune région d'Afrique, renchérit le
commandant DELHAISE, je n'ai vu la femme jouir d'une considération aussi grande
que chez les Warega. Elle est presque aussi respectée que l'homme et peut
obtenir les grades de la hiérarchie sociale.(Collection de monographies
ethnographiques : les Warega, Cyr. Van Overbergh)

Qu'est-ce qui pourrait alors être à la base d'une telle
régression ?

-Le Bwami était une association zaïroise jouant un
rôle économique, politique et social sans fonction religieuse.Toute la vie est
une initiation permanente à travers une institution initiatique, le Bwami. (Docteur
J. Maes, la société des Mwami chez les Warega.)

[4] Kamituga :
cité minière importante du territoire de
Mwenga, située à environ 180 km de
Bukavu. (WWW.genreen action.net)