Jusqu’où les femmes démunies accèdent-elles à la justice au Sud-Kivu?

16-07-2014 12:30:47

L'accès à une justice équitable est un droit reconnu à chaque citoyen de la République Démocratique du Congo (RDC)[1] mais la réalité est autre, car ceux qui ont des moyens insuffisants sont souvent découragés de déposer leur plainte en justice ; pour celles qui entament une procédure judiciaire, certaines sont loin d'arrivées au bout de la procédure jusqu'au jugement et épuiser toutes les voies de recours et pour d'autres cette justice est loin d'être une justice équitable.

Dans le système Femme au Fone au Sud-Kivu, quelques SMS sont arrivés où les femmes de territoires disent qu'elles accèdent à la justice mais elles ne sont pas en mesure d'aller jusqu'à la fin d'une procédure judiciaire entamée.

Dans notre communauté, une femme veuve, après la mort de son mari, sa belle-famille a pris tous les biens, la femme était obligé d'aller en justice pour voir comment recouvrer ses droits, souligne un message depuis Uvira.

Ici chez nous, la justice n'existe presque pas, les auxiliaires de la justice sont corrompus et pour cette raison les femmes ont peur d'aller en justice en cas de sérieux problèmes, dit un SMS depuis Kabare.

Les femmes qui vont souvent en justice rencontrent des problèmes liés à l'héritage, aux conflits fonciers et parcellaires, aux violences domestiques, les coups et blessures volontaires, les humiliations et les propos injurieux, privation des droits sur les enfants même en très bas âge, etc.

Discrimination quotidienne

Dans la vie de chaque jour, la femme peut avoir des problèmes ou des violations de ses droits qui ne peuvent trouver la solution que par la voie de la justice car ils sont ingérables par des échanges ou des dialogues simples en famille ou en communauté.

Mais, «Les coutumes rétrogrades qui minimisent la femme font aussi que certaines ont peur de saisir la justice, même si elles ont raison, parfois elles préfèrent se taire et pourtant la femme doit être protégée dans ces droits» ajoute Yvette Mushigo, juriste et experte de la résolution 1325 dans la rédaction Femme au Fone.

Maître Placide Ntole de l'ONG Information Juridique Multisectorielle (SOS IJM) confirme que «les droits des femmes continuent à être violés, nous voyons ces genres de situations dans le territoire de Walungu et Kabare où nous travaillons. C'est par exemple des cas où de gens n'acceptent pas que la femme peut hériter, même si c'est son droit, elle ne peut pas avoir une propriété foncière».

De son côté maître Jean Claude ZOZO avocat près la cour d'Appel de Bukavu ajoute qu'il y a des difficultés pour les femmes à un faible revenu financier d'aller jusqu'au jugement car même une femme assistée par un avocat Pro Deo[2] est appelé à payer elle seule certains frais de justice légalement exigibles.

L'assistance pro deo dont certaines femmes peuvent bénéficier, ne le soustrait pas à engager parfois certaines dépenses liées à la suite de la procédure.

Ce sont les frais de justice nécessaires pour l'introduction de l'action judiciaires tel que fixé par l'arrêté interministériel n°812/CAB/MIN/JUS§GS/2005 et n° 075/CAB/MIN/FINANCES/2005 portant fixation des taux des droits, taxes et redevances à percevoir à l'initiative du ministère de la justice et garde des sceaux, publié au journal officiel le 18 août 2006. Ces frais ne sont pas accessibles par les femmes dépossédées de leurs biens ou économiquement affaibli. Il en est de même des cas spécifiques des femmes placées en détention qui, non seulement manquent une assistance judiciaire, mais aussi peuvent manquer une caution de mise en liberté provisoire lorsqu'elle la sollicite.

Il y a aussi des blocages du côté de la justice comme nous le confie avec regret maître Jean Claude ZOZO : « J'assistais une femme en justice, nous avions déjà commencé la procédure et, arrivé à une étape, les juges m'ont dit que la femme n'a pas l'autorisation de son mari pour aller en justice. Le dossier est clos jusqu'à ce jour. Je me suis défendu mais les juges ne m'ont pas compris, la question que je me pose: comment aujourd'hui en 2014 nos juges peuvent dire que la femme n'a pas le pouvoir de porter plainte en justice sans la permission de son mari?».

La polémique sur le Code de la famille et la discrimination

Le code de la famille dit, effectivement, que «la femme doit obtenir l'autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s'oblige à une prestation qu'elle doit effectuer en personne» (+article 448) Si le mari refuse, n'est pas capable ou qu'il est dans l'impossibilité de donner cette autorisation, la femme peut la demander au conseil de famille».

Le Code de la famille en vigueur en RDC est d'août 1987. La constitution actuelle, de 2006, affirme en son article 142 que «les traités internationaux dûment ratifiés par la RDC (exemple: la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard de la femme) ont force de loi et ont primauté sur les lois nationales». Or, la RDC a ratifié bon nombre d'instruments juridiques internationaux, après 1987 en faveur de droits de la femme, qui doivent donc s'imposer sur les articles 448 du Code de Famille et suivants.

Notons aussi qu'aux termes de l'article 12 de la constitution de la RDC telle que modifiée à ce jour stipule que «tous les congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection par loi».

Cette égalité exclue-t-elle la femme mariée? La réponse est négative. Maître Jean Claude ZOZO insiste: « les juges, les avocats et d'autres qui disent que la femme n'a pas la capacité d'ester en justice sans l'autorisation de son mari font une grosse erreur car la loi existe et d'autres conventions et traités internationaux doivent être respectés».

Le manque des ressources économiques

Le fait que la femme est économiquement faible est aussi l'un de frein pour son accessibilité à la justice. L'organisation des Droits Humains Héritier de la Justice a accompagné à Bukavu un total de 35 cas des femmes au niveau des cours et tribunaux en 2013. Seulement sept cas ont obtenu gain de cause, 17 sont en cours et 11 cas ont été arrêtés en cours de procédure par manque de moyens.

C'est le cas de Christine K., accusée de sorcellerie par son mari et sa belle-famille, a été chassée de chez elle et privé de ses enfants. Elle a eu un avocat pro Deo grâce à l'accompagnement de FAF. Le juriste qui suit son dossier à l'organisation APRODEPED affirme que le procès est bloqué par manque d'argent. «Si on avait des moyens, le procès serait déjà plus avancé. Par l'instant la justice demande de l'argent pour amener la lettre de convocation au mari de ma cliente. Comme cela n'est pas encore fait, rien n'avance», fait savoir Emile Milinganyo.

Les usagers subissent des tracasseries de toute nature au motif que l'Etat n'accorde aucune dotation aux juridictions ni pour le fonctionnement ni pour la prise en charge du personnel affecté aux cours et tribunaux.

Les experts consultés par FAF estiment qu'il est important de poursuivre les activités de sensibilisations qui sont faites par les organisations de défense de droits de femmes et la société civile pour que toutes les femmes connaissent qu'elles ont droit de saisir la justice et que celle-là doit être une justice qui donne confiance et non une justice qui décourage.

Le fait que l'argent facilite la célérité dans le fonctionnement de la justice va continuer à exclure les femmes économiquement démunies et continuer à rendre l'accès des femmes à la justice comme un droit des privilégiés, ce qui doit interpeller vivement les gouvernants.

Eliane POLEPOLE, journaliste Femme au Fone Sud-Kivu

 

[1] Constitution de 2006 de la RD Congo, Article 12 « Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois. » www.journalofficiel.cd