La vérification des informations : un défi pour les zones éloignées et d’accès difficile

23-06-2014 14:38:28

«Je suis en route vers Baraka, voici quelques infos de la journée dans ces villages Lweba, Bitakola-alende, Mibula-alokolo dans les territoires de Fizi, les femmes et les enfants sont en brousse à cause de conflit tribal, pillage systématique par des inconnus.»

C'est en ces termes qu'une des femmes du territoire de Fizi a envoyé son SMS dans le système Femme au Fone (FAF) le 7 mars 2014 dernier, à la veille de la célébration de la Journée Internationale de la Femme. Ce message-alerte qui plus tard va se révéler être un montage pose un sérieux problème de la véracité des SMS qui arrivent au système FAF, surtout lorsqu'ils proviennent des zones enclavées et éloignées de Bukavu. Vérifier de telles informations sans tomber dans le piège des personnes mal intentionnées est un réel défi qui se présente à FAF.

Des femmes et des enfants dans la brousse et sans aucune assistance

Un tout premier appel de FAF vers la source de ce message a informé que « des femmes et des enfants étaient en brousse sans aucune assistance ». Devant une telle alerte et donc une situation urgente, FAF a multiplié ses appels pour avoir plus d'informations à ce sujet. Les premiers appels ont fournis quelques informations complémentaires. Ces dernièresont conduit à une brève publication sur la page Facebook de FAF le 8 mars 2014. En effet, pour FAF, il était inconcevable que des femmes soient en difficulté dans les brousses de Fizi pendant que se célébrait la journée leur dédiée.

Toujours à la recherche de plus de clarté sur ces faits, FAF est entré en contact avec un des collaborateurs de l'expéditrice du message. Celui-ci, basé à Mboko, un des villages du territoire de Fizi, a donné sa version des faits en ces mots : «le 15 et 16 février dernier des femmes et des enfants et quelques hommes revenant du marché de Kakuku avaient été victimes d'attaques et des pillages par des hommes en uniformes non autrement identifiés. Leurs villages ont ensuite été brûlés, ce qui a obligé certains d'entre eux à trouver refuge dans des brousses de différents villages du moyen plateau de Fizi».

Par la suite, les deux sources mentionnées –l'expéditrice du SMS et son collaborateur à Mbko- informeront qu'en dehors de leur association et des quelques églises, aucune autre ONG locale ou même internationale ne se souciait du sort de ces personnes en brousse. Ils ont également indiqué, que le travail de sensibilisation qu'ils ont menée auprès des femmes, sous la couverture des églises, a permis à quelques-unes de regagner leurs villages. Ces deux sources ont affirmé que leur organisation a fait un don de cinq sacs de sel et d'un ballon d'habits à ces femmes en difficulté.

Pour creuser davantage les faits et pouvoir les documenter en vue d'une large diffusion, FAF a demandé à l'expéditrice du message initial de lui donner quelques statistiques en rapport avec les femmes en brousse. A ce sujet, la source a fait savoir que 328 femmes au total s'étaient réfugiées dans les brousses des villages du moyen plateau de Fizi de suite de ces attaques et que 136 d'entre elles ont accepté de retourner chez elles suite à la sensibilisation menée par son organisation. Parmi ces 136 femmes, 50 femmes dont 9 filles âgées entre 12 et 16 ans, auraient été victimes du viol. La source a par ailleurs attesté que les autorités de la place étaient bien saisies de la situation ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant dans le moyen plateau en territoire de Fizi mais que ni les uns ni les autres n'étaient préoccupés de la situation. Elle a expliqué cette non-assistance par le manque de volonté de la part des autorités et des responsables d'ONG de braver l'inaccessibilité des brousses caractérisées par la présence de plusieurs cours d'eau, du mauvais état de routes et de la présence des bandes armées. «Seul OCHA (1) a secouru ces femmes il y a de cela cinq ans et actuellement, OCHA est à court de financement » affirmait la même source.

Comment les autorités et les humanitaires présents dans la zone concernée peuvent-ils restés insensibles à des faits aussi graves ? Ce questionnement a conduit FAF à recouper des différentes informations et les contraster avec des différentes sources présentes à Fizi afin de se rassurer de la véracité des faits.

 

Des faits qui n'ont jamais existé

Aucun de ces faits n'a été confirmé par les différentes personnes interrogées à ce sujet à Fizi. Les personnes contactées nous ont plutôt informées que des faits similaires s'étaient produits bien d'années auparavant. La même question a été posée au cours des séances de travail inter-agences (2) organisées à Baraka mais personne n'a semblée être au courant d'une situation de cette ampleur dans ce territoire.

Pourquoi quelqu'un prendrait-il une aussi grave décision de transmettre de fausses informations ou de remonter dans le présent des faits qui ont eu lieu dans le passé ? Est-ce pour gagner de l'argent ou la confiance de FAF ? Une enquête sur la personne et ses motivations pourrait un jour donné une réponse à FAF.

 

Une contradiction de la part de la source

Le message de départ relatait les faits comme s'ils venaient de se produire à la veille du 8 mars. Un premier contact avec un des collaborateurs de l'expéditrice du message, a révélé pour sa part, que les faits se seraient produitsun mois plutôt, soit entre le 15 et le 16 février 2014. Ce contact n'a fait aucune allusion au conflit tribal qu'évoquait le message de départ.

Dans les différents échanges téléphoniques avec l'expéditrice de l'alerte, elle a plusieurs fois indiqué que :« des ONG internationales œuvrent dans cette partie du sud Kivu mais n'apportent aucune assistance à ces gens dans la brousse. »

Elle a ensuite affirmé, sans donner la nature de cette aide, que « OCHA était la seule ONG qui venait au secours de femmes il y a 5 ans et que présentement OCHA, à court de financement, ne pouvait rien faire». Il y a une contradiction lorsque pour des faits récents, la source situe l'action d'OCHA dans le passé. Aussi, dans un endroit difficile d'accès, la source n'a pu expliquer clairement à FAF comment son organisation est arrivée à atteindre les femmes en brousses pour les aider.

Il est à remarquer que, tel que présenté ainsi, OCHA apparait être comme une organisation internationale avec des activités d'intervention directement sur le terrain. Et pourtant comme Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA - acronyme anglais pour Office for the Coordination of HumanitarianAffairs) c'est le département du Secrétariat des Nations Unies chargé de renforcer la réponse des Nations Unies aux crises et aux catastrophes naturelles et de coordonnerla réponse humanitaire, la politique de développement et le plaidoyer humanitaire. C'est-à-dire, OCHA n'intervient pas directement sur le terrain.

 

La source

L'expéditrice de l'alerte en question est une femme engagée pour la cause de la femme dans le territoire de Fizi. Elle a affirmé être la coordinatrice d'une organisation locale basée à Baraka-Fiziet dans la plaine de la Ruzizi et aurait des points focaux dans différents villages de Fizi avec lesquels elle collabore dans le cadre de son organisation. Elle s'intéresserait aussi à la politique. Dernièrement en visite privée à Bukavu, FAF l'a contactée, sans succès, pour discuter avec elle au sujet de l'alerte dont elle est la principale source. Elle s'est limitée à des promesses et en fin de compte la rencontre avec FAF n'a pu avoir lieu. FAF l'a enfin recontactée pour qu'elle propose ce qui pourrait être fait avec une information dont elle est la seule personne à donner la confirmation. Hésitante, elle a dit : « faites comme vous voulez, moi je vous ai juste donné l'information».

 

La réalité de Fizi

Un journaliste responsable d'une radio locale à Baraka, a confirmé à FAF qu'une multiplicité d'organisations non gouvernementales locales et internationales œuvrent effectivement à Fizi. Ce dernier a fait savoir que cette forte présence n'améliore guère les conditions sécuritaire et économique de la population, première bénéficiaire de leurs différentes actions. Selon certains observateurs ayant intervenu pendant plusieurs année à Fizi, ce territoire connaît un problème sérieux d'insécurité, du mauvais état des routes qui rendent le déplacement difficile, de la présence exagérée des barrières illégales, du manque d'autonomisation de la femme. Certains acteurs de développement pensent aussi à ce qu'ils qualifient de « la paresse des autochtones » comme un problème du territoire de Fizi. Ils trouvent la justificationde cette « paresse » dans le fait que la population de Fizi a, pendant près de deux décennies, bénéficiée de l'assistance en vivres et non-vivres et de manière récurrente par plusieurs organisations venues intervenir dans le milieu, suite aux mouvements et autres violences issues des conflits armés que ce territoire a connu et continue à connaitre dans certaines de ses contrées, comme le moyen plateau. La population qui dans sa vie de tous les jours vivaient principalement de l'agriculture, de la pêche et l'exploitation artisanale des minerais s'est vu contraindre à des déplacements réguliers et bénéficier ainsi des produits vivriers à plusieurs reprises et par des acteurs différents. Certaines personnes se sont donc détachées progressivement du travail de la terre pour ne dépendre que « des distributions des ONG ».

 

Le danger

Etant donné que FAF compte sur l'appropriation de l'intérêt du projet des femmes à la base, par l'envoie des messages ou smssur leur état sécuritaire dans leur milieu respectif pour alimenter les multiples productions de la rédaction, le danger réside dans le fait que l'intention de la personne qui décide d'envoyer son message à FAF demeure personnelle.

Responsable d'une organisation locale de Fizi, est ce que transmettre une telle information veut signifier que la femme expéditrice de l'alerte était en quête d'un appui quelconque ? Une telle alerte, ne devrait-t-ellepas en principe retenir l'attention de tous les acteurs ?

Un travail accru de sensibilisation sur l'intérêt du projet FAF d'une part et sur la signification de la sécurité pour les femmes d'autre part s'avère nécessaire et urgent.

FAF a dans ce sens, sensibilisé près de 70 « écouteurs » au cours de dernières descentes qu'elle a organisées à Bagira, Kadutu, Miti et Walungu le 8, le 12 et le 13 mai dernier.

 

Quel comportement adopté ?

La simple vérification d'un fait rapporté dans un sms, auprès de sa seule source principale se révèle insuffisante pour attester de sa véracité. Pour cela, il est important de toujours mener plus de recherches sur les informations données. Toute information doit être soumise à une recherche plus fouilléeet à une confrontation d'avec des sources concordantes se retrouvant dans le milieu d'où elle provienne. Et pour des faits très sensibles comme celui dont il s'agit dans cet article, il faut envisager une descente dans la zone concernée et ou collaborer avec des journalistes basés dans le milieu comme d'envoyés spéciaux pour plus de crédit de l'information envoyée. Se renseigner davantage sur les personnes qui envoient les messages est également important.

Dans la mesure du possible, il faut en plus, s'informer sur la réalité du milieu où les faits se sont produits, les remonter dans l'histoire et les situer dans leur contexte. Tant qu'un tel travail d'investigation n'est encore effectué, tout message rapportant des faits sensibles doit être pris avec des pincettes.

 

Judith CUMA & Yvette MUSHIGO, Femme Au Fone.

(1) OCHA : Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires.

(2) Chaque semaine à Baraka, territoire de Fizi a lieu une réunion des acteurs de la société civile de Fizi et représentants des organisations nationales, locales, internationales et agences onusiennes qui passent en revue la situation contextuelle, humanitaire et socio-économique du territoire selon différents axes d'interventions.